Faire vivre une école démocratique en France, en 2022
AEL a ouvert ses portes au public en septembre 2018; notre petite école démocratique entame ainsi sa 5e année d’existence… Loin d’être un long fleuve tranquille, ouvrir et faire vivre une école de ce type, de nos jours, relève du parcours du combattant. De la lourdeur administrative aux inspections pédagogiques abusives, sans oublier la précarité de l’équilibre économique, la vaillance de l’équipe et l’engagement des familles deviennent une nécessité pour faire exister l’alternative éducative dans notre pays.
De l’absurdité administrative
Saviez-vous qu’il nous est nécessaire de passer des heures à remplir les cases des plateformes numériques permettant à l’état d’attribuer un numéro à chaque élève?
- Qu’il nous est nécessaire de déclarer nos effectifs chaque mois auprès de notre commune et de l’éducation nationale, même s’ils demeurent inchangés?
- Qu’il est obligatoire de justifier, année après année, l’absence de casier judiciaire des membres de l’équipe pédagogique?
L’accumulation de démarches qu’il nous est demandé d’exécuter ne cesse d’augmenter. Et pourtant, nous nous efforçons de consigner scrupuleusement les données, transmettre en temps et en heure, toutes les informations nécessaires à l’administration, qui égare souvent ces précieux renseignements… en nous faisant porter le chapeau.
De la méfiance éducative
Saviez-vous que la liberté pédagogique à laquelle nous avions droit, par notre statut d’école privée hors contrat, a sérieusement été amputée, ces dernières années? Qu’il est désormais possible de faire fermer une école pour un motif pédagogique… complètement subjectif?
- Que les inspections pédagogiques sont inopinées dans nos écoles alors qu’elles sont programmées et préparées dans les établissements publics?
- Que les membres de nos écoles ne peuvent pas bénéficier d’AVS ou AESH, alors qu’ils pourraient avoir besoin d’accompagnement?
- Que le contrôle continu n’est pas pris en compte pour le passage d’examens de nos jeunes, ce qui les contraint à préparer des épreuves supplémentaires?
Et pourtant, nous accueillons de nombreux jeunes pour qui l’école publique traditionnelle ne convient pas. Ces élèves, laissés sur le carreau par le système parce qu’ils sont « dys », « tdah », « tsa », « hpi », etc, trouvent ici un lieu d’apprentissage qui s’adapte à leurs spécificités. Sans parler des jeunes ayant subi du harcèlement dans leur ancien établissement, à qui AEL donne une chance de se reconstruire. À de nombreux égards, nous rendons service à l’Education Nationale, dont le système est à bout de souffle… Et pourtant, nous sommes toujours considérés avec méfiance.
De l’entrave économique
Saviez-vous que l’état français interdit toute aide financière publique pour les écoles privées hors contrat, se rendant ainsi complice de la facture que paient les familles pour accéder à autre modèle éducatif?
- Que notre statut d’école privée hors contrat nous exclue de nombreux appels à projets?
- Que, suspicieuse, la loi nous impose de justifier l’identité de chacun de nos donateurs?
- Que, pour diminuer les coûts, l’équipe éducative est rémunérée au minimum de la convention collective de l’enseignement privé hors contrat?
- Que nous privilégions le bénévolat et la récupération de matériel?
- Que les frais de scolarité, que nous demandons aux familles, sont moins importants que le coût de la scolarité des élèves dans les établissements publics?
Et pourtant, l’équilibre économique des écoles démocratiques demeure fragile. La crise économique et sociétale dans laquelle nous nous trouvons n’améliore évidemment pas notre situation financière. Aujourd’hui, sans mécène, AEL risque sa pérennité.
Pourquoi tant d’obstacles? L’état français agit-il de la sorte pour maîtriser les éventuelles dérives des établissements privés hors contrat? L’expérience AEL nous laisse à penser que la défiance de l’état est telle que le contrôle a laissé place à une entrave systémique. De plus en plus d’écoles démocratiques se voient contraintes de fermer leurs portes… sans que la justice puisse donner raison aux équipes et aux familles engagées pour l’alternative éducative.
Dès lors, comment exister avec une telle pression sur nos épaules? Comment poursuivre sereinement notre activité de facilitateur.ice.s d’apprentissages auprès des jeunes?
L’espoir demeure dans l’union des familles, des équipes pédagogiques, des réseaux d’entraide et des mécènes. En oeuvrant de concert, nous pouvons stabiliser cet injuste déséquilibre… Et qui sait? Il est peut-être même possible, à terme, d’ancrer l’alternative éducative dans notre pays et dans notre culture? Il n’est jamais trop tard pour rêver en grand…