De Montessori aux Écoles Démocratiques : mon expérience # 1
Éducatrice en école Montessori, puis membre du personnel d’À l’Ère Libre suite à une expérience bénévole de 8 mois, Amaryllis partage sa vision et son expérience personnelles. Ce premier article est consacré aux similitudes entre ces deux modes d’instruction.
Lorsque j’ai entamé ma formation Montessori, je suis tombée sous le charme. J’étais absolument convaincue. J’ai ensuite enseigné selon les principes de Maria Montessori pendant deux ans et avec beaucoup de joie. Cependant, je savais qu’il existait mille autres pédagogies que je ne connaissais pas et qui avaient sans doute des choses à m’apprendre. En 2019, j’ai contacté différentes écoles afin de venir à leur rencontre, de découvrir leur fonctionnement et leur vision de l’enfant.
À l’école démocratique d’Étampes, j’ai certes découvert énormément de nouveautés, mais je n’ai pas été entièrement déboussolée non plus. Les écoles démocratiques et les écoles Montessori ont de nombreux points communs, parmi lesquels une vision quasiment identique de l’enfant.
Cependant, je tiens à préciser que cet article parle de ma vision des choses et de mon expérience personnelle, en fonction des écoles que j’ai connues. Il est certain que, d’une école à l’autre, même au sein de la même pédagogie, il existe de nombreuses différences. Chaque équipe pédagogique, selon leur identité, leur parcours et leurs intentions, donne une direction différente à leurs écoles.
La vision de l’enfant
Maria Montessori, scientifique qu’elle était, a trouvé des mots décrivant selon elle le développement de l’enfant. Elle parle par exemple d’esprit absorbant pour décrire la capacité de l’enfant à « absorber » des impressions sensorielles, c’est-à-dire à les mémoriser sans effort et en grande quantité. L’exemple le plus flagrant est l’apprentissage de la langue maternelle. Les jeunes enfants apprennent à parler avec facilité et rapidité quand un adulte mettra de nombreuses années à apprendre une langue étrangère et ne pourra sans doute jamais la maîtriser complètement.
L’autre concept clef de cette pédagogie est celui des périodes sensibles. Pour ce concept, Maria Montessori s’inspire de la sensibilité des jeunes chenilles à la lumière. Lorsqu’elles naissent, les chenilles sont naturellement attirées par la lumière qui les guide jusqu’au sommet des branches où se trouvent les feuilles le plus tendres, celles dont elles ont besoin. Lorsqu’elles auront grandi et se nourriront autrement, cette sensibilité à la lumière disparaitra. Les chenilles continueront de percevoir la lumière mais n’y porteront plus aucun intérêt. Maria Montessori applique ce raisonnement aux êtres humains. Pour s’adapter à leur environnement, les humains ont besoin de développer des compétences sociales, logiques, physiques, langagières et sensorielles. Tout au long de l’enfance – voire même tout au long de la vie selon certains – les enfants passent par des phases d’intérêt, de fascination envers certains aspects de leurs environnements. Par exemple, pendant des jours entiers, ils demanderont le son de toutes les lettres qu’ils rencontreront. Ou bien, ils essaieront de marcher, se relevant après chaque chute inlassablement. Maria Montessori décrit les apprentissages comme de la nourriture psychique. Les enfants en ont autant besoin que de la véritable nourriture. Un enfant auquel on ne parlera pas et qu’on placera dans un environnement pauvre aura des retards de développement, de même qu’un enfant sous-nourri sera faible physiquement.
Les écoles démocratiques, quant à elles, n’ont pas d’expressions qui leur sont spécifiques. Cependant, leur fonctionnement gravite selon moi autour de trois concepts clefs : la curiosité naturelle de l’enfant, le jeu comme source d’apprentissage et la vie indissociable de l’apprentissage.
Pour les écoles démocratiques, les enfants – mais les adultes également – sont dotés d’une curiosité naturelle. Un humain bien portant ne peut se contenter de vivre sans essayer de comprendre le monde qui l’entoure. Les bébés qui viennent de naître, âgés de seulement quatre heures, manifestent déjà plus d’intérêt envers les objets qui leur sont inconnus. Les scientifiques du monde entier s’évertuent à explorer l’espace, à comprendre la matière noire et le fonctionnement de notre cerveau. Apprendre fait partie des besoins essentiels de l’être humain, de même que manger, dormir ou socialiser.
Et cela tombe bien parce qu’il est impossible de vivre sans apprendre. Quoi que nous fassions, qui que nous rencontrions, nous apprenons. Si nous prenons l’exemple des additions, elles sont partout dans notre environnement : combien d’argent dois-je donner au caissier, combien d’œufs dois-je mettre dans mon gâteau, combien de temps cela me prendra-t-il d’aller chercher mon ami à la gare, combien de points ai-je marqué en jouant au scrabble, combien de kilogrammes de pommes notre pommier nous a-t-il offerts, etc. Et si je prends l’exemple d’une recette de cuisine, elle me permet d’apprendre un nombre incalculable de choses, dans des domaines bien différents. En français, je développe mes compétences de lecture, mon vocabulaire (avec des mots appartenant au lexique de la cuisine tels que « faire revenir », « mijoter », « épluche-légumes », etc.), j’apprends le style bien particulier d’une recette de cuisine avec ses phrases à l’infinitif ou à l’impératif. En mathématiques, j’apprends à lire des quantités, je fais des conversions et de la proportionnalité en adaptant les quantités au nombre de mes convives. En physique-chimie, je pèse des aliments, je compare un volume à un poids, je découvre que l’eau bout puis s’évapore, que le chocolat fond, etc. Et si nous cherchons un peu plus loin, je peux même faire des sciences naturelles en découvrant que mes ingrédients et par conséquent mes recettes varient en fonction des saisons. Et pour finir, peut-on parler de la cuisine comme d’un art ? Je pense que oui. Marier des saveurs, présenter joliment sur une assiette, créer ses propres recettes… Cela demande une sensibilité précise dont nous ne sommes pas tous capables.
Et pour finir, nous apprenons énormément en jouant. En observant l’évolution des humains mais aussi celles des animaux, Peter Gray, psychologue du développement et auteur du livre Libre pour apprendre, remarque l’importance du jeu. Plus une espèce a besoin de connaissances pour vivre, plus elle joue. Ainsi, les animaux carnivores, dont la survie nécessite plus de savoir-faire que celle des herbivores, jouent plus. Mais ils ne jouent pas à n’importe quels jeux. Ils jouent à chasser ou à se battre, des jeux qui leur permettent précisément de développer des compétences dont ils auront besoin une fois adultes. Nul doute que nous, êtres humains à la vie complexe, sont certainement les animaux qui jouent le plus. Les jeux de rôle, par exemple, permettent aux enfants d’appréhender les codes sociaux qui les entourent, de confronter leur vision du monde à celle de leurs camarades et de revivre des situations qu’ils ont besoin de comprendre dans un contexte sécurisant.
Pour conclure, ces deux pédagogies placent l’enfant comme principal acteur de son développement. L’enfant apprend naturellement par lui-même et pour lui-même. De cette vision découle de nombreux choix pédagogiques communs aux deux méthodes.
Le libre choix de ses activités
Il est intéressant de proposer des activités aux enfants susceptibles de les intéresser. Mais il est primordial de leur laisser suffisamment de temps libre, à l’école comme la maison, pour explorer, jouer, essayer, discuter, errer, s’ennuyer… Aucun enfant n’est identique et aucun adulte ne peut savoir mieux qu’eux-mêmes ce qui les fascine, ce qui répond à leur développement actuellement. Maria Montessori parle d’un Maître Intérieur qui, caché dans l’esprit de l’enfant, lui murmure ce qu’il a envie d’apprendre sans même que l’enfant ne s’en rendre compte. Ainsi, la curiosité naturelle de l’enfant, vivant sans contrainte, se maintient dans le temps et permet des apprentissages dans la joie.
La place de l’adulte
Dans ces deux pédagogies, la posture de l’adulte est bien différente de celle à laquelle nous sommes habitués. Ici, l’adulte est une personne ressource qui se rend disponible pour répondre aux questionnements de l’enfant. Il fait le lien entre l’enfant et l’environnement extérieur. C’est un adulte en retrait qui observe longtemps pour mieux intervenir lorsque cela est nécessaire.
Dans les écoles Montessori, le rôle de l’adulte est avant tout d’observer les enfants pour déceler leurs périodes sensibles du moment, leurs besoins actuels, puis de leur présenter une activité Montessori qui y réponde. Il leur arrive souvent également de demander directement à l’enfant l’activité qu’il souhaite découvrir aujourd’hui.
Dans notre école démocratique, l’adulte demande à l’enfant quel est son projet du moment. Et quel que soit le projet, il l’accompagnera vers sa réalisation. Les écoles démocratiques considèrent les adultes – mais également les enfants – comme des êtres uniques, ayant chacun ses talents et ses spécialités. Si l’adulte est en mesure de répondre aux questionnements du membre-jeune, il le fera. S’il ne les a pas, il essaiera de trouver une autre personne, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école, pouvant y répondre.
Richesse de l’environnement
La clef des apprentissages est donc l’environnement. C’est lui qui nous pousse à nous questionner, c’est lui que nous essayons de comprendre. Par conséquent, plus il sera riche, plus les apprentissages seront nombreux. Bien sûr, même si les enfants passent énormément de temps dans leurs établissements, les écoles Montessori et démocratiques se veulent ouvertes sur le monde. N’importe quel membre de l’école peut être à l’initiative d’une sortie.
Dans les écoles Montessori, nous découvrons une centaine d’activités différentes mais aussi, selon les écoles, des coins bibliothèques, des coins peinture, des œuvres d’art, de belles images, des coins musique, etc. L’environnement est soigné et beau pour attirer l’enfant.
Dans les écoles démocratiques, chaque salle a une fonction précise : salle musique, salle peinture, salle de jeux, bibliothèque, salle de sport, atelier, salle d’étude… Il y a mille choses à faire. La diversité des membres est elle aussi à privilégier. Les écoles démocratiques misent sur une grande équipe pédagogique et de nombreuses personnes extérieures venant partager leurs compétences le temps d’un atelier.
Le multi-âge
Une autre richesse de l’environnement commune aux deux pédagogies est le mélange des âges. Les membres les plus âgés, par leur simple présence, tirent les plus jeunes vers le haut, leur donnent envie de découvrir de nouvelles choses. Quant aux plus jeunes, ils permettent à leurs aînés d’apprendre à prendre soin et de renforcer leurs connaissances en les expliquant aux plus jeunes.
Une matière plutôt qu’une autre?
Sans remettre en question l’importance des mathématiques et du français, les pédagogies Montessori et démocratiques accordent autant d’importance à la musique, au dessin, aux activités sportives, au bricolage ou à la cuisine. Le développement social a lui aussi une importance toute particulière. Oui, un enfant qui discute avec un autre est en train d’apprendre.
Laissé libres de développer ce qu’ils veulent, les enfants découvrent leurs passions et leurs talents. Ils développent une connaissance d’eux-mêmes qui leur sera utile tout au long de leur vie.
Autonomie et confiance en soi
Maria Montessori a une opinion qui peut être déroutante au sujet de l’aide. Selon elle, aider un enfant qui n’en a pas véritablement besoin, c’est lui transmettre le message qu’il est incapable de réussir par lui-même. C’est un grand travail pour l’adulte que d’apprendre à identifier les situations d’aide inutile. En observant un enfant, en s’abstenant de l’aider, on se rend compte que la plupart du temps, il finit par y arriver seul. Il est grand temps que nous ré-accordions aux enfants toute la confiance qu’ils méritent. Cependant, nous pouvons les encourager par des phrases bienveillantes ou simplement par notre présence.
Les écoles démocratiques favorisent au maximum cette autonomie. Elles essaient, autant que possible, de guider l’enfant vers ses propres solutions, qui seront peut-être très éloignées de celles qu’auraient choisies l’adulte.
L’évaluation se fait par une observation discrète de la part de l’adulte. Les enfants ne sont pas comparés entre eux. Il n’y a pas d’attentes concernant les apprentissages et l’âge auquel ils doivent être acquis. Il n’y a pas non plus de limites. On ne dit pas à un enfant qu’il est trop petit pour faire quelque chose. On le laisse essayer, prendre les connaissances dont il est capable aujourd’hui et revenir vers l’activité plus tard, quand l’intérêt est de nouveau suscité. Nous pouvons donner notre avis sur une situation mais ce dernier n’aura jamais plus de valeur que celui de l’enfant.